VIE PRIVÉE
ET
PUBLIQUE,
DU CI-DERRIERE
MARQUIS de VILLETTE.
Le ci-derrière marquis de Villette, ainſiappellé de ſon inclination pour le cul,naquit à Paris, en ..... Il apporta ennaiſſant, ſon goût décidé pour le péché deSodôme. La chronique aſſure même queſa mere, pendant qu’elle le portoit dansſes flancs, ſentoit une démangeaiſon preſquecontinuelle à l’anus, une ſenſation àpeu-près ſemblable à celle que procureune canule douce & polie qu’on nous inſinuedans cette partie, lorſque le beſoinl’exige. Cette circonſtance de la groſſeſſede Md. de Villette, qu’elle communiqua,l’on ne ſait pas trop pourquoi, à quelquesperſonnes de ſa connoiſſance, fut differemmentinterprêtée, & conformement auxgoûts particuliers de tous ceux qui en furentinſtruits. La femme d’un apothicairedont la maiſon étoit attenante à celle deMd. de Villette, en conclut intérieurementque ſon mari avoit fricaſſé les épinards avec ſa voiſine. Un jéſuite prétendit quele fruit de Md. de Villette étoit deſtiné àfaire revivre la ſodômie, & devina juſte.
Les premieres années du ci-derrieremarquis de Villette, ne préſentent que desfaits peu intéreſſans, quoiqu’il portât enlui-même le germe du vice affreux, qu’ilaffiche actuellement avec autant d’effronterieque d’indécence, quoiqu’il fit dansl’âge le plus tendre, des expériences réiteréesſur les compagnons de ſes plaiſirs,ſa conduite ne feſait aucune eſpéce de ſenſationparce qu’on ne fait guere, d’attentionaux actions d’un enfant qui, d’ailleurs, étoittrès doux & d’un naturel intéreſſant.
Nous obſerverons cependant, que ſabonne, avec qui il couchoit, quand on l’eutretiré des mains de ſa nourrice, ſe ſentoitprèſque toujours grater les feſſes par lepetit engin du poupon; mais ſoit que lejeu lui plut, ſoit qu’elle n’y prit pas garde,elle n’avoit jamais rien dit de cettecirconſtance, ce n’eſt que depuis que le ci-derrierea mérité d’être ainſi nommé parſes exploits en ſodômie, que ſon anciennegouvernante a rapporté le trait caractèriſtiquedu jeune Villette.
Les grands vices, ainſi que les grandstalens ſe dévelopent de bonne heure, dans les individus deſtinés par la nature àjouër un grand rôle dans la ſocieté, n’importedans quel genre. La famille de notrehéros, nous fournit une preuve inconteſtablede cette aſſertion. Voltaire, ſon onclematernel, bégayoit des vers dans ſonberceau, il annonçoit par-là qu’il ſeroitun jour un grand poëte; Villette, à peineâgé de trois ans, avoit la dextérité de diſtinguerle cul du con de ſa bonne, & neprenoit jamais l’un pour l’autre, préſagecertain qu’il ſeroit un jour le plus fameuxenculeur de l’Europe.
Dès que Villette fut aſſez fort pourqu’on pût l’abandonner à lui-même, ilne fut plus occupé qu’à courir les ruesvoiſines de ſa maiſon, pour chercher despetits bardaches de ſon âge, qu’il ſéduiſoitavec des bonbons, du fruit, des grosſols; & comme il n’étoit pas délicat ſur lechoix de ceux qu’il deſtinoit à ſes plaiſirs,il trouvoit aiſement à ſe ſatisfaire, enemployant les petits moyens dont nousvenons de parler.
Quoique les ſenſations qu’il éprouvoitdans un âge ſi tendre, fuſſent tout-à-faitimparfaites, il ſe livroit à ſa paſſion pourle cul, avec tant de fureur, qu’un jour onle trouva dans un chantier, par un froid exceſcif, & au milieu de la neige, enculantun petit décroteur dont la figure &la malpropreté auroient rebuté tout autreque lui.
Ses parens furent inſtruits qu’on l’avoittrouvé en flagrant délit, mais regardantcela comme une choſe ſans conſéquence,& plutôt comme un enfantillage que commeun vice décidé, ïls prirent le parti dene pas lui en parler, mais pour détruirele mal dans ſon principe, ſuppoſé que c’enfut un dans un enfant de cet âge; ils ſedéciderent tout de ſuite à le mettre dansune penſion, ſe flattant que l’occupationqu’on lui donneroit, & l’exactitude aveclaquelle on veilleroit à ſa conduite, l’empêcheroientde ſe livrer à ce goût dépravé& contre nature.
Inſtallé dans ſa penſion, le petit enculeurfut quelques jours ſans bander. Desnouvelles figures, un régime differend,des occupations ſuivies le diſtrayoientaſſez pour qu’il ne pût pas ſe livrer a ſa paſſion.
Mais il faut que le renard meure dansſa peau. A peine Villette eut-il fait quelquesconnoiſſances que ſa fureur enculatoirele reprit de plus belle. Le premierobjet de ſes deſirs fut un jeune enfant de huit ans, arrivé dans la penſion en mêmetems que lui. Villette, tout jeune qu’ilétoit, commença par obſerver ſes démarches,dans la vue de démêler ſon caractère,& de l’attaquer enſuite par l’endroitle plus foible.
Les obſervations de notre jeune enculeur,ne furent point vaines; il n’eut pasfréquenté quinze jours le petit ganimède,qu’il découvrit en lui un grand fond degourmandiſe; bien aſſuré que les bonbonsétoient ſa paſſion favorite, Villette lui enprodigua d’une manière déſintéreſſée, &ſe garda bien de lui laiſſer entrevoir lemotif d’une généroſité d’autant plus extraordinaireque leur connoiſſance ne dattoitpas de bien loin.
Lorſque Villette vit ſon mignon accoutuméà l’uſage journalier des friandiſes,lorſqu’il vit que cette habitude étoit devénueun beſoin chez lui, il commença àdiminuer la portion qu’il lui donnoit chaquejour, & ceſſa enfin abſolument delui en donner. Le blondin, à qui cette privationétoit inſupportable, s’en plaignitamérement à Villette, & lui demandaquelles raiſons il avoit de changer ainſi deconduite à ſon égard. C’étoit où Villettel’attendoit. — Je n’ai point d’autre motif d’en agir ainſi, lui répondit-il, que votrefroideur pour moi: & je ſuis prêt à meconduire envers vous, comme auparavant,ſi vous voulez me donner quelquepreuve d’amitié & de complaiſance. —Parlez, s’écria le blondin, parlez, moncher Villette, il n’y a rien que je ne faſſepour vous prouver mon attachement &ma reconnoiſſance. Comme ce coloqueſe faiſoit pendant la récréation, dans uncoin de la cour; Villette emmene finementſon jeune ami dans le jardin, & ſous prétextede ſatisfaire un beſoin naturel, ill’engage à entrer dans les comodités aveclui: là, le petit ſatyre, enflammé de luxure,s’explique par des faits avec ſon ami,qui, dans l’innocence la plus parfaite, ſeprête ſans reſiſtance aux deſirs infâmes duprécoce libertin.
Après l’opération, Villette lui recommandele plus grand ſecret, & l’y engage,en lui donnant des pralines & autres friandiſes,argumens irréſiſtibles pour lui.
Si Villette ſe fut contenté d’exploitér leblondin, il eût été difficile qu’on eût découvertſes menées, quoiqu’il fut veillé deprès par ſon précepteur, à qui ſes parensl’avoient recommandé, ſans s’expliquerſur les raiſons qu’ils avoient de faire eclairer ſa conduite. Mais le petit bougre avoitformé le projet d’enculer toute la penſion,& il pouſſoit même ſes prétentions juſqu’àſodômiſer ſon précepteur lui-même.Comme ſes moyens & ſon expérienceétoient infiniment diſproportionnés à l’étenduede ſes deſſeins, il échoua dans ſonentrepriſe, & voici comment.
Parmi ſes compagnons d’étude, Villetteavoit diſtingué le jeune comte d’A.....C’étoit un enfant d’une figure charmante,d’un caractère doux & liant, mais quiavoit ſuccé avec le lait, les principes d’unemere auſſi honnête qu’aimable. Villettele regardoit avec les yeux de la luxure,& ſe propoſoit de le mettre au nombrede ſes premières conquêtes, mais, commele comte ne lui fourniſſoit aucun moyende ſéduction, le ſodomiſte ſe décida àbruſquer l’entrepriſe: ils couchoient tousles deux dans le même dortoir, & leurslits n’étoient ſéparés que par un autre,ce qui n’étoit qu’un foible obſtaclepour la paillardiſe de Villette. L’heurearrivée, on ſe couche: tout le mondes’endort; Villette, lui ſeul que l’exécution deſon projet occupoit, veilloit encore, &attendoit que tout le monde fût profondémentendormi; enfin il ne peut plus réſiſter à ſes brûlans deſirs; il ſe lève,& emporté par ſa paſſion, il crache ſurſon vit, ſe gliſſe dans le lit du Comte,& avec une vigueur extraordinaire pourſon âge, il l’enfile juſqu’à la garde, dupremier coup.
La roideur de l’attaque; la ſurpriſe,& plus encore une douleur aigue, tirèrentle comte de ſon ſommeil: il s’éveilleen pouſſant le hauts cris; on accourtavec de la lumière, on le trouve pâle& défiguré, & le petit bougre jouantdes feſſes avec une rapidité incroyable,les yeux étincelans, & tellement acharnéſur ſa proie, qu’il ne voyoit ni n’entendoitrien, l’on eut toutes lespeines du monde à l’en arracher.
On l’emporte enfin, & on l’enfermedans une eſpèce de cachot, où pour ſedédommager, il ſe branla le vit juſqu’aumoment où l’on vint l’en tirer pour luifaire ſubir, en préſence de toute la penſion,une punition proportionnée à lanature de la faute qu’il avoit commiſe.
Comme il avoit péché par le cul, ilfut décidé qu’il ſeroit puni par le cul;en conſéquence, on le mit à nud au milieude la ſalle de récréation, & là,tous les penſionnaires, ayant chacun une poignée de verges, venoient à tour derôle, lui en appliquer quelques coups ſurles feſſes; mais bien loin d’en reſſentirde la douleur, le petit bougre ſe mit àbander ſi fort, que les précepteurs, voyantſa chemiſe ſe relever, ſe doutèrent de lavérité, firent ceſſer l’opération, & concluantque Villette étoit incorrigible, &qu’il ſeroit fouteur en cul en dépit de tous,le renvoyèrent chez ſes parens.
Il étoit impoſſible de leur cacher lemotif d’un renvoi auſſi humiliant; auſſila perſonne qui l’avoit ramené, leuravoua-t-elle le fait franchement? Samère en fut doublement mortifiée, &parce qu’elle étoit femme, & parce quece vice eſt réellement le plus affreuxdont un homme puiſſe ſe ſouiller. Elleprit le parti de le mettre dans une penſionoù elle le recommanda ſi bien, qu’illui fut impoſſible, pendant tout le temsqu’il y paſſa, de ſe ſatisfaire une ſeulefois: ce n’eſt pas qu’il n’ait fait milletentatives; il s’étoit même adreſſé juſqu’aupetit ſavoyard, qui faiſoit les commiſſions;mais ſoit que tout le monde fût prévenu,ſoit qu’il fût veillé de trop près, il futtoujours réduit à ſe branler.
Enfin ayant achevé ſes études, il revint tout de bon à la maiſon paternelle:comme, pendant ſon ſéjour à la penſion,il n’avoit pas donné lieu à ſes parensd’être mécontens de lui; ils lecrurent revenu de ſon goût pour le cul,& lui laiſsèrent une certaine liberté dontil abuſa bientôt.
Pour mieux couvrir ſon jeu dans leprincipe, il affectoit de ne ſortir quetrès-rarement, encore étoit-ce la nuit;mais ſon inclination le dirigeoit toujoursvers le Luxembourg ou les Tuileries; &là il ſe dédommageoit de sa contraintevolontaire pendant le jour, en enculantà tort & à travers tous ceux qu’il pouvoit ſéduire.
Villette étoit d’un caractère trop libertin& trop indépendant, pour jouer long-temsle perſonnage de la contrainte, & ſecouantce qu’il appelloit des préjugés ridicules,ſe leva tout-à-fait le maſque, & ſe livraſans honte & ſans pudeur à ſes infâmes inclinations.
Ennemi de la gêne & du myſtère,il ne prenoit pas la peine de cacherſes démarches, & pourvu qu’il parvîntà ſi ſatisfaire, il ſe ſoucioit fort peu quela conduite fût épiée.
Ce mépris pour l’opinion publique, manqua lui être funeſte. Le Luxembourg& les Tuileries, ſont le rendez-vous detout ce qui fait le commerce foutatif:les putains y font leurs pratiques dansune allée, tandis que les bardaches fontles leurs dans une autre, & elles avoienteu occaſion d’obſerver que depuis queVillette fréquentoit le théâtre de leursébats, les ſectateurs de la Sodômie augmentoient,& les michés devenoient infinimentplus rares: outrées de voir quele ci-derrière leur portât un préjudice auſſiconſidérable, quelques-unes d’entr’ellesforment le projet de le ſurprendre enflagrant-délit, & d’en faire un nouvel Abailard.
Ce projet à peine formé, elles ſongèrentà le mettre à exécution; pour ceteffet quatre d’entr’elles, ſe couchèrentdans des allées les plus obſcures oùelles ſavoient que le ci-derrière ſe rendoittoutes les nuits. Leur eſpérance nefut pas trompée, un inſtant après Villettefut bientôt ſuivi du bardache qu’il devoitexploiter. Les gueuſes armées chacuned’un poignard, attendoient avec l’impatiencede la vengeance, le moment oùleur ennemi ſeroit dans le feu de l’action,pour le prendre à l’improviſte, & lui couper couilles & vit juſqu’au poil: c’étoitfait du moderne marquis, ſi l’unedes conjurées, emportée par la ſoif deſe venger, ne fût ſortie de l’endroit oùelles étoient cachées au moment où il portoitla main au bouton de ſa culotte.Le bruit qu’elle fit en marchant ſur desfeuilles sèches, ayant fait tourner la têteau bougre, il ſe douta de la ſupercherie,& tenant ſa culotte à deux mains, ils’enfuit à courtes jambes, leur montrant,pour leur faire piéce une paire de feſſes,dont la vue fit ſur elles l’effet du baſilic;car elles s’arrêtèrent tout court, & demeurèrentcomme pétrifiées.
Revenues de leur ſurpriſe, & déſeſpéréesd’avoir manqué leur coup, elless’en vengèrent d’une manière preſqu’auſſicruelle, en le diffamant dans le public,par les couplets ſuivants qu’elles firent circulerdans toute la ville.
CHANSON
Air: Je ſuis né natif de Férare.
Je ſuis né natif de Lutèce
Et grand amateur de la feſſe,
Pour le con je n’ai point de jus,
Je n’ai de vit que pour l’anus; bis.
Loin des putains, dans une allée,
Etendu deſſus la feuillée
Tandis qu’ailleurs on fout en con,
Moi, j’encule mon beau mignon. bis.
Sans crainte de la chaude piſſe,
Des poulins & de la jauniſſe;
Quand j’ai beſoin de décharger,
Je me paſſe bien d’enconner. bis.
A l’extrêmité de l’épine
D’un beau garçon, je fout ma pine,
Et me grattant les deux couillons
Mon foutre ſort à gros bouillons. bis.
Bougre en même tems & rivette,
Le ci-devant marquis Villette
Pour les femmes & pour le con,
Sent la plus vive averſion. bis.
Sans être natif de Sodôme,
A la femme il préferè l’homme,
Quand il eſt jeune, & neuf ſur-tout
Pourquoi pas? Chacun à ſon goût. bis.
A la ſenſation que ces couplets firentdans le public, Villette jugea bien qu’ilpaſſeroit pour un enculeur fiéfé & qu’il ne pourroit plus paroître ſans qu’on lemontrât au doigt, mais ſa paſſion l’emportantſur toute autre conſidération, ilauroit peut-être bravé imprudemment l’opinionpublique, qu’il taxoit de préjugé,ſi ſes amis n’y euſſent mis obſtacle. Ilscrurent que le plus ſur moyen de le fairerenoncer à ſon péché mignon, étoit lemariage: en conſéquence ils lui propoſerentune jeune perſonne qui réuniſſoitaux avantages de la fortune, une figurecharmante, des talens agréables, & unenaiſſance auſſi illuſtre que Villette pouvoitla déſirer.
Vaincu par les inſtances de ſes amis,& peut-être auſſi par les avantages quelui préſentoit l’alliance propoſée, il ſerendit à leurs ſolicitations. Leurs ſoinsofficieux abrégèrent les formalités; & lemariage fut preſque auſſitôt célébré que conclu.
Le lendemain de la cérémonie, unplaiſant écrivit en gros caractères, ſur laporte de derrière de la maiſon du marquis:
ON N’ENTRE PLUS PAR ICI.
Poſſeſſeur d’une épouſe charmante,Villette, ſembloit avoir oublié ſes anciennes inclinations; mais incapable d’aprécierles plaiſirs honnêtes, il ſe dégoûta bientôtdes douceurs qu’on éprouve dans latranquillité du ménage, il s’abandonna denouveau à la plus crapuleuſe diſſolution.Les pleurs de ſa femme, les répréſentationsde ſes amis, tout fut inutilementemployé; il auroit fallu, pour le retenir,que ſa femme eût eu pour lui des condeſcendances,dont ſon honnêteté la rendoitincapable; & l’on devine aiſementde quelle nature elles étoient.
A l’époque de la révolution, que le cielà permiſe pour notre malheur, & qui eſtle fleau le plus terrible dont la France pûtêtre affligée, Villette, que ſon exécrableconduite avoit voué au mépris public, &qui, malgré ſon inſouciance pour ce qu’ilappeloit le préjugé, eſſuyoit des humiliationsſans nombre, afficha publiquementla démocratie; & ſe déclara patriote dansle ſens de la révolution.
Il eſperoit par là, faire oublier ſesfrédaines, & r’habiller ſa réputation délabrée;mais il a manqué ſon but, &perſonne n’a été la dupe de ſes motifs;d’autant mieux qu’il n’eſt devenu, ni plusdélicat ni plus circonſpect ſur l’article du cul.
Il eſt ſi fortement enchaîné par ſonpenchant pour cette partie, que lorsmême qu’il traite d’affaires ſérieuses, ſaconverſation tombe toujours ſur cet objet,ſans qu’il s’en doute. On va en juger.
Villette à l’honneur ou le deshonneur,(car chacun a ſa maniere de voir) d’êtredu très-haut & très puiſſant club des Jacobins.Dans une ſéance à laquelle il étoitpréſent, on parloit préſeance, prééminence& ſelon la très-louable coutume des jacobins,on ſe dechainoit contre tout cequi, à leurs yeux, porte l’empreinte del’ariſtocratie, & ſe propoſoit d’en abolirmême le terme. Villette emporté par ſonculotiſme, ſe leve, &, avec un enthouſiaſmedigne d’un meilleur ſujet, dont onne devroit pas même avoir l’idée dans unétat libre: «Juſques à quand ſouffrirons-nousque l’ariſtocratie étende ſon empirejuſques ſur les moindres choſes? C’eſttrop long-tems baiſſer la tête ſous lejoug. Il ſaut que chacun préſide à ſontour, ou que la préſéance ſoit abſolumentabolie. En conſéquence, je vous dénoncela lettre A, qui dépuis l’inventionde l’alphabet, occupe le premier rang, parmi ſes compagnes, quoiqu’il n’y enait pas une qui ne la vaille à tous égards;& je demande que la lettre Q, préſideà ſon tour; j’oſe attendre de votre juſtice,que vous prendrez ma motion àconſideration, & que je ne vous auraipas dénoncé en vain un abus qui ſubſiſte,hélas! depuis trop long-tems».
Quoique cette motion eût paru riſibleà pluſieurs jacobites; comme il y en avoitbeaucoup parmi eux, qui ſont inviolablementattachés au Q, la motion fut miſeaux voix, & il fut decidé, à la trèsgrande majorité, que la lettre Q, préſideroità ſon tour. L’évêque d’Autun eſtchargé d’en faire la motion à l’aſſemblée nationale.
S’il faut en croire certaines perſonnes,Villette ne manque pas d’eſprit; on luiaccorde même le talent des reparties fines& piquantes. Il ſe promenoit un jour, toutſeul, au palais royal; deux jeunes gens,ſous le bras l’un de l’autre, ſe promenoientderriere lui, & à leur miſe on nepouvoit pas douter qu’ils ne fuſſent deschevaliers de la manchette. Villette a letact fin, il les avoit apperçus, & lesavoit jugés d’un coup-d’œil. L’un d’euxayant reconnu le ci-derriere marquis de Villette:» tiens, dit-il à ſon compagnon,voilà ce bougre de Villette». Celui-cil’ayant entendu, tourne la tête, & ſans ſedéconcerter: «de quoi vous plaignez-vous,dit-il à cet indiſcret, ne vousai-je pas payé toutes les fois que jevous ai F...u»?
Cette réponſe, que cent perſonnes entendirent,aneantit les deux bardaches,qui ſe ſauverent ſans répliquer; & Villettecontinua ſa promenade, regardant & flairantà droite & à gauche, pour découvrirviande fraîche.